Qu’est-ce qu’un répertoire pour marionnettes ? (2e séminaire international)

Qu’est-ce qu’un répertoire pour marionnettes ?

Pratiques du répertoire dans les théâtres de marionnettes anciens ou traditionnels (XVIIe-XIXe siècles)

29-30 octobre 2020

Le terme de répertoire, si habituel à propos de théâtre ou de musique, a-t-il du sens pour le théâtre de marionnettes ? Brunella Eruli, dans l’Encyclopédie mondiale des arts de la marionnette, appelle « répertoire » simplement l’ensemble des pièces jouées autrefois par les théâtres de marionnettes, ou des parties de cet ensemble : le « répertoire d’origine religieuse » ou le « répertoire parodique » en particulier.

Or, pour le théâtre d’acteurs, le « répertoire » a pu prendre des significations plus précises. Arthur Pougin, dans son Dictionnaire historique et pittoresque du théâtre et des arts qui s’y rattachent (1885), identifie cinq emplois distincts :

Répertoire : Ce mot, en matière de théâtre, a sinon plusieurs significations diverses, du moins plusieurs applications distinctes qu’il est utile de préciser.

Le répertoire d’un théâtre se compose de l’ensemble des ouvrages qui lui appartiennent, qui n’ont pas été joués sur un autre théâtre et qu’il peut reprendre à sa volonté. (A) Toutefois, on comprend sous le nom de « répertoire courant » toutes les pièces qui sont jouées au moins de temps en temps, et d’une pièce qui depuis longtemps n’a plus été représentée et qui n’est plus sue par les artistes, on dit qu’ « elle n’est plus au répertoire ». – (B) D’autre part, dans certains théâtres, comme les théâtres lyriques par exemple, qui changent chaque jour leur affiche, on appelle « établir le répertoire de la semaine » fixer jour par jour et d’une façon précise la composition de tous les spectacles de la semaine qui va commencer. (C) – Enfin, le répertoire d’un artiste comprend tous les rôles qu’il a joués dans les divers ouvrages à la représentation desquels il a pris part. En ce qui concerne les théâtres de province, jamais un directeur n’engage un comédien sans que celui-ci lui communique et lui laisse entre les mains la liste de ces rôles et de ces ouvrages, liste qui constitue précisément son répertoire. […] (D)

En ce qui concerne la Comédie-Française, on appelle le grand répertoire, et plus brièvement le répertoire, l’ensemble des grandes œuvres classiques, soit dans le genre tragique, soit plutôt peut-être encore dans le genre comique, qui sont la gloire de ce théâtre et qui ont été les maîtres de la scène au dix-septième et au dix-huitième siècle. […] (E)

Transposée au théâtre de marionnettes, la notion soulève une série de questions :

1) Dans le sens d’« œuvres appartenant en propre à un théâtre ou une compagnie » (A).

  • Comment se construit l’identité d’une compagnie de théâtre de marionnettes ? Quel rôle joue le choix des œuvres portées à la scène dans la construction de cette identité ?
  • Quel rôle joue la transmission des œuvres dans l’établissement d’une tradition du théâtre de marionnettes ? Cette transmission peut-elle rester interne à une compagnie, passant d’une génération à la suivante ?
  • Quelle fonction occupent les commandes à des auteurs : celle d’une recherche de renouvellement ? de l’affirmation d’une filiation ou d’une continuité artistique ?
  • Quelle place occupent, dans ces répertoires, les pièces écrites par le marionnettiste ou par son équipe artistique ? Excluent-elles d’autres productions ? Ont-elles seules la charge de construire l’identité de la compagnie ?

2) Dans le sens de « liste de productions toujours en exploitation » (B).

  • À la différence des compagnies du théâtre d’acteurs qui passent généralement d’une production à la suivante, les marionnettistes continuent souvent d’exploiter plusieurs spectacles au cours d’une même période. Quelles sont les évolutions, aujourd’hui, de cette pratique ?
  • Quel rôle jouent les conditions économiques de production et de diffusion dans l’élaboration du répertoire ? Par exemple dans l’alternance entre petites formes et spectacles longs, ou dans la tendance actuelle de création de formes intermédiaires, préludes au développement de formats de spectacles plus longs ou alternatives répondant aux contraintes des programmateurs ? Dans le choix de productions pour le jeune public ou pour le tout public ?

3) Dans le sens de « représentations alternées pendant une période donnée » (C).

  • Comment se construit le répertoire d’un théâtre fixe de marionnettes ? Quel est le calendrier de ses représentations ? Quelles sont les relations entre le calendrier des spectacles et celui des autres activités humaines (fêtes religieuses ou autres, saisons, etc.) ?
  • Comment se construit, dans les théâtres traditionnels, le programme d’une soirée ? Quelles places y occupent les différents genres (drame ou mélodrame, farce, numéros à transformation, etc.) ?
  • Quelles relations peut-on observer entre le répertoire des théâtres de marionnettes et celui des théâtres d’acteurs ? Comment se construit le « système théâtral » (Giovanni Marotti) d’une société donnée, avec les fonctions respectives de ses différentes scènes ? Le théâtre de marionnettes permet-il par exemple de conserver vivant un répertoire délaissé par les acteurs (féeries, mélodrames, farces) ? Permet-il de diffuser auprès d’un public populaire (et sous quelle forme : réduite, parodique, etc. ?) les œuvres programmées sur les grandes scènes ? Permet-il d’explorer des répertoires différents, plus novateurs ou plus expérimentaux ?

4) Dans le sens de « rôles qu’un interprète est en mesure de jouer » (D). L’interprète du théâtre de marionnettes est évidemment le marionnettiste. Mais certains personnages de marionnettes, repris d’une production à l’autre, ont fini par fonctionner à la manière des emplois dans les troupes d’acteurs, ou des masques dans la Commedia dell’arte. Cela soulève, par exemple, les questions suivantes :

  • Quels sont les différents rôles qu’une marionnette comme Guignol, Kasperl ou Dom Roberto a pu jouer, et quelles sont leurs caractérisations (sociale, psychologique, etc.) ? Sont-ils limités au registre comique ? Sont-ils toujours protagonistes, ou bien apparaissent-ils aussi comme seconds rôles ?
  • Pour des emplois communs au théâtre d’acteurs et au théâtre de marionnettes (Arlequin), les rôles dans lesquels ils sont distribués sont-ils comparables sur ces deux scènes ?

5) Dans le sens de « grand répertoire » (E). Cette expression, qui désigne les œuvres « classiques » propres à une langue, une culture, une civilisation, concerne peu le théâtre de marionnettes en raison de la position marginale qui est traditionnellement la sienne. Pourtant :

  • Existe-t-il des œuvres pour marionnettes (ou simplement des arguments ?) dont on peut dire qu’elles ont circulé à travers l’Europe et contribué à construire un socle de références culturelles communes ?
  • Peut-on, parmi l’ensemble des œuvres représentées dans une forme particulière du théâtre de marionnettes, identifier certaines d’entre elles qui, passant d’une génération à la suivante, voire d’une équipe artistique à l’autre, constituent le cœur du répertoire de cette forme ? L’épisode de la folie de Roland pour les pupi siciliens, Le Déménagement de Guignol dans la tradition lyonnaise, Le Pont cassé pour le théâtre d’ombres, peuvent-ils être considérés comme des « classiques » de leur art ? Avec quelles conséquences ?

L’enjeu de ce 2e séminaire a été de réfléchir aux différentes pratiques de constitution d’un répertoire chez les marionnettistes des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, ainsi que dans différentes traditions qui ont pu s’établir et se prolonger parfois jusqu’à aujourd’hui.

Ce séminaire de recherche s’est tenu en ligne les jeudi 29 et vendredi 30 octobre 2020. Des spécialistes des théâtres de marionnettes se sont connectés depuis 6 pays différents (Allemagne, Espagne, France, Irlande, Italie, Portugal) pour présenter leurs recherches sur les répertoires européens entre le 17e et le début du 20e siècle.

Vous trouverez sur cette page les publications issues de ces échanges sous des formes variées :

  • des articles au minimum en versions française et anglaise (et parfois aussi dans leur langue originale : allemand, espagnol ou italien) ;
  • quelques contributions en vidéo ;
  • quelques contributions au format diaporama (présentations de type Powerpoint).

(Pour avoir accès aux versions anglaises des documents, vous devez choisir de naviguer sur ce site en anglais).

Le Théâtre de Dom Roberto par Christine Zurbach,

Les pièces pour marionnettes en Grande-Bretagne par John McCormick,

Pulcinella, Punch, Polichinelle: Continuité et discontinuité dans le théâtre de marionnettes à gaine (17e-19e siècles) par Didier Plassard.

Le répertoire du théâtre de marionnettes forain en France au XIXe siècle : le cas du théâtre Chok-Pitou par Yana Kor.

◊ « Der gute Mercks » - La bonne mémorisation par Lars Rebehn (Puppentheatersammlung Dresden)

« Le Betlem de Tirisiti » et le répertoire traditionnel des crèches de marionnettes par Jaume Lloret (Université d'Alicante)

Dernière mise à jour : 17/05/2022