Les pièces pour marionnettes en Grande-Bretagne - John McCormick (Trinity College, Dublin, Irlande)

Les pièces pour marionnettes en Grande-Bretagne

John McCormick (Trinity College, Dublin, Irlande)

URL : https://nakala.fr/10.34847/nkl.9d286wh0

DOI : 10.34847/nkl.9d286wh0

Compte tenu de l’absence relative de textes écrits pour le théâtre de marionnettes qui soient parvenus jusqu’à nous, il peut sembler difficile de se pencher sur la question de la dramaturgie en Grande-Bretagne avant le XXe siècle. George Speaight, dans son History of the English Puppet Theatre, a fait un excellent travail en établissant des listes de pièces de théâtre jouées par des compagnies de marionnettes, mais ces listes sont plus précieuses pour nous renseigner sur ce que ces compagnies aimaient présenter plutôt que sur la façon dont les pièces étaient représentées sur la scène. Ce qui, habituellement, nous en donne une idée approximative, ce sont les pièces supposées avoir été écrites dans un style que le public pourrait reconnaître comme étant celui des théâtres de marionnettes professionnels. La plus ancienne d’entre elles est la parodie par Ben Jonson des histoires de Héro et Léandre et de Damon et Pythias dans Bartholomew Fair [La Foire de la Saint Barthélémy] (1614), que Speaight considérait comme étant destinée à des marionnettes à gaine, mais qui a toutes les caractéristiques d’un spectacle pour marionnettes à tringle : le sujet, la représentation dans un espace clos avec paiement obligatoire à l’entrée, et l’emploi de l’entrepreneur de spectacle comme commentateur[1].

 

A Tale of a Tub (1623) de Jonson comprend un motion, terme utilisé à l’époque (communément, mais pas nécessairement) pour désigner un spectacle de marionnettes. Dans ce cas précis, la dernière partie du cinquième acte est un dumb show [jeu muet] prenant la forme de cinq scènes avec un présentateur et utilisant des ombres plutôt que des acteurs vivants. Accompagnées de musique, ces scènes évoquent chacun des actes de la pièce et sont désignées sous l’appellation de Masque, l’intention satirique de Jonson étant de se moquer d’Inigo Jones en réduisant ses Masques de cour raffinés à un très simple divertissement portatif. Le contexte implique que Jonson décrit quelque chose de familier à son public, et c’est aussi notre plus ancienne référence à une forme de théâtre d’ombres en Angleterre[2].

 

Au XVIIe siècle, et encore en grande partie au XVIIIe siècle, le répertoire principal énuméré par Speaight était un répertoire populaire, dont une grande partie se composait de pièces bibliques (les pièces sur la vie des saints n’existant pas dans l’Angleterre protestante). Celles-ci comprenaient les très populaires Creation of the World [La Création du monde], Bel and the Dragon [Bel et le Dragon] (d’après le Livre de Daniel), Nineveh, the Prodigal Son [Ninive, le Fils prodigue] et Solomon and the Queen of Sheba [Salomon et la reine de Saba] (dont une version où Punch s’assoit sur les genoux de la reine). Dans les pièces du théâtre élisabéthain, on trouve des références à un certain nombre de titres, mais il n’y a guère d’autres informations. Au début des années 1700, une description de la scène de Noé dans la Création nous fournit finalement une idée précieuse d’une représentation :

 

La dernière scène présente Noé et sa Famille sortant de l’Arche, avec tous les Animaux, par couples, et on voit en perspective tous les Oiseaux des Airs perchés sur les Arbres. En outre, on voit le Soleil se lever au-dessus de l’Arche de la façon la plus splendide, et de plus une multitude d’Anges sera visible en deux rangées, qui se présenteront en double perspective, l’une vers le Soleil, l’autre vers un Palais, où l’on verra six Anges sonner six Cloches. En outre, des Machines descendent d’en haut, le double et le triple en nombre avec Dives qui surgit de l’Enfer et Lazare qui apparaît dans le Sein d’Abraham, ainsi que plusieurs Figures dansant des gigues, des sarabandes et des danses campagnardes pour l’émerveillement des spectateurs ; avec les joyeuses plaisanteries du squire Punch et de Sir John Spendall[3].

 

À une époque où l’alphabétisation n’était pas répandue, la narration d’histoires était une partie importante de la culture populaire. De nombreuses pièces de théâtre présentées sur la scène des marionnettes provenaient de légendes et d’histoires populaires, transmises oralement et souvent tirées de livres de colportage. Parmi celles-ci figuraient Faustus [Faust], Patient Grissel [La Patiente Griselidis], The Seven Champions of Christendom [Les Sept Champions de la Chrétienté], Mother Shipton [La Mère Shipton], Dick Whittington et Julius Caesar.

 

Au cours du XVIIIe siècle, le répertoire théâtral s’enrichit d’autres adaptations, notamment des farces, des ballad operas (pièces avec des couplets chantés sur des airs connus) très populaires, des parodies d’opéra et des pantomimes (généralement avec Arlequin comme personnage principal). Un certain nombre de pièces ont été écrites pour les marionnettes aux XVIIIe et XIXe siècles, mais dans des circonstances plus spécifiques et elles ne faisaient partie d’aucun répertoire courant. Nous pensons à Samuel Foote, Charlotte Charke ou Kane O’Hara.

 

Samuel Foote, dans son théâtre du Haymarket, mêla les marionnettes aux acteurs et son esquisse plutôt curieuse Tragedy a la mode (1763) n’est pas seulement une version burlesque de la tragédie héroïque, mais Foote lui-même joua dans cette pièce, les autres rôles étant interprétés par des marionnettes de grandeur nature découpées dans du carton-pâte. Connus également sous le nom de « pantins », des marionnettes de ce genre étaient une nouveauté sur la scène anglaise. Dans une autre pièce, The Handsome Housemaid ; or, Piety in Pattens [La Belle Servante, ou la piété en socques] (1773), il utilisa la même combinaison d’un acteur vivant et de marionnettes pour se moquer de l’écriture sentimentale de l’époque, en particulier de Pamela de Samuel Richardson[4].

 

La miniaturisation de l’humain ouvre la voie au burlesque (comme c’est le cas dans le premier livre des Voyages de Gulliver). En Grande-Bretagne, Tom Thumb [Tom Pouce] de Henry Fielding (1731) était déjà une version burlesque de la tragédie héroïque alors à la mode, et a été adapté pour les marionnettes de Fawkes en 1734. Le premier texte pour marionnettes à notre disposition est l’adaptation de Kane O’Hara pour le Patagonian Theatre (1780). La scène des marionnettes permettait l’exagération de la taille des figures de géants et de nains, mais aussi des effets comiques comme la régurgitation de Tom Pouce qui a été avalé par la vache, Pamela.

 

The Pleasures of the Town [Les Plaisirs de la ville] (1730) de Henry Fielding est une pièce satirique plutôt dans la veine du Théâtre de la Foire parisien. C’est une pièce qui traite des problèmes d’un écrivain et le troisième acte se déroule sur un théâtre de marionnettes (avec Punch et sa femme Joan). Interprétée à l’origine par des acteurs vivants, elle est facilement entrée dans le répertoire des marionnettes, en particulier celui du célèbre marionnettiste Yeates.

 

En 1780, dans une nouvelle version de Thomas Shadwell, The Shipwreck [Le Naufrage] basé sur l’adaptation de Dryden et Davenant de La Tempête de Shakespeare, voyait les feux de la rampe chez les marionnettes du Patagonian Theatre d’Exeter Change à Londres.

Dans la même salle, le Midas de Kane O’Hara, une burletta (bref opéra comique) interprétée à l’origine par des acteurs vivants, comportait une note indiquant qu’elle avait été « représentée telle que l’auteur l’avait initialement prévu ».

 

Le public projette très facilement la vie sur une marionnette dès lors qu’elle affiche un trait de comportement humain. Avec son corps entièrement articulé, la marionnette peut également remplacer l’acteur vivant et, dans certaines occasions, les entrepreneurs de spectacles l’utilisaient pour offrir un spectacle alternatif, notamment lorsqu’il était interdit aux acteurs vivants de se produire, ou dans des lieux rarement en contact avec le théâtre.

 

L’énorme essor des petits théâtres et des nouveaux publics au XIXe siècle entraîna l’apparition d’un nouveau répertoire de mélodrames, et les marionnettistes s’en saisirent, le titre d’une pièce célèbre étant en lui-même de la publicité. Certains titres entrèrent dans l’usage commun et restèrent dans le répertoire longtemps après leur disparition du théâtre d’acteurs. Le drame nautique d’Edward Fitzball, The Floating Beacon (1824), était toujours à l’affiche des scènes pour marionnettes à la fin du siècle[5]. Les marionnettes Tiller utilisaient pour cela un texte avec des coupures et des corrections, lequel se trouve à présent dans les collections théâtrales du Victoria and Albert Museum[6].

 

En ce qui concerne les textes pour le théâtre de marionnettes, pratiquement rien n’a survécu au-delà des éditions bon marché de pièces de théâtre populaires utilisées par de nombreuses compagnies du XIXe siècle. Les Dicks’ Standard Plays comprenaient plusieurs centaines de pièces du répertoire théâtral allant du XVIIIe siècle à la fin du XIXe, et celles-ci étaient vendues pour un penny, ce qui les rendait très accessibles aux marionnettistes, qui les adaptaient ensuite au personnel et aux besoins de la compagnie. Les longues tirades étaient généralement réduites et l’accent était mis sur la trame de l’histoire, en insérant à l’occasion des dialogues de liaison. Les marionnettistes se sont progressivement constitué un répertoire, certains se vantant de pouvoir interpréter une cinquantaine de pièces sans utiliser de texte écrit.

 

Compte tenu du petit format et de la taille des caractères, il aurait été impossible de lire les pièces publiées par Dicks pendant les représentations. Cependant, à une époque où l’accent était davantage mis sur l’oralité, où l’on apprenait essentiellement par cœur et où l’entraînement de la mémoire était une caractéristique essentielle de l’éducation, on peut supposer que le scénario des pièces était mémorisé assez rapidement[7].

 

Il arrivait aussi parfois qu’un marionnettiste bricole un scénario à partir de feuilles volantes et d’articles de journaux sur des affaires judiciaires concernant un meurtre sensationnel, comme ce fut le cas pour Maria Marten ; or Murder in the Red Barn [Maria Marten, ou le meurtre dans la grange rouge]. Cette histoire était déjà au répertoire des penny gaffs (petits spectacles populaires dont le prix d’entrée était un penny) avant que le meurtrier ne soit pendu, et s’est ensuite retrouvée au répertoire de nombreuses compagnies de marionnettes.

Il est également fort probable que nombre des pièces répertoriées par Speaight n’ont jamais eu de texte écrit susceptible d’être directement utilisé ou adapté. Nous avons la preuve que des fragments de répliques ont pu être utilisés dans des scènes clés, tandis que le reste de la représentation était une improvisation plus libre à partir de la trame d’origine. L’acteur irlandais John Molloy, qui voyageait avec une scène démontable dans les années 1940 et 1950, m’a raconté que parfois le chef de troupe amenait la compagnie à Dublin pour voir le dernier film sorti (tel que Les Dix Commandements). Puis, quelques jours plus tard, une fois la compagnie retournée en zone rurale à l’autre bout du pays, les comédiens présentaient leur version improvisée de l’histoire. Il est certain que cela était autrefois une pratique courante chez de nombreux marionnettistes.

 

Dans les mélodrames, le clown, en tant que figure comique rustique, correspondait à bien des égards aux nouveaux personnages contemporains créés ailleurs, tels que Guignol, Gianduja, Lafleur et d’autres. George Speaight a essayé, peut-être avec un peu d’optimisme, de faire de Tim Bobbin le nouveau personnage-type anglais, et chaque compagnie avait sa propre variante, l’une des plus populaires étant Yorkshire Bob. Dans The Colleen Bawn [Le Lac de Glenaston] (1860) de Dion Boucicault, inspiré par le meurtre réel d’une jeune fille séduite, le héros comique Myles-na-Coppaleen est bien plus important que le principal personnage masculin. Jouée par des marionnettes pour la première fois en 1862, en 1872 la pièce entre dans le répertoire de Holden. The Colleen Bawn illustre la manière dont, chez les marionnettes, le personnage comique prenait une importance bien plus grande que dans la pièce originale et tirait celle-ci vers la comédie. Il faut noter qu’à cette époque, le jeune Thomas Holden, qui avait un don pour la comédie (et qui a peut-être tenu le rôle de Myles-na-Coppaleen), jouissait d’une réputation particulière pour son interprétation du paysan Robin Roughead dans la farce du XVIIIe siècle de John Till Allingham, Fortune’s Frolic or, The Ploughman turned Lord [Le Caprice de la fortune, ou le laboureur devenu Lord]. La production originale de Bluebeard [Barbe-Bleue] (1872) par John Holden était manifestement infiniment drôle, accordant beaucoup de place au texte parlé. Elle comprenait des scènes telles que celle des nurses avec les vingt bébés de Barbe-Bleue, mais ces scènes ont disparu du synopsis du programme pour les représentations en France et en Belgique dans les années suivantes, où il ne restait qu’un couple de serviteurs vaguement comiques. À cette date, pour profiter de la vraie comédie, il fallait attendre l’arlequinade finale.

 

Si l’on cherche les personnages comiques importants du théâtre de marionnettes britannique, il faut se tourner vers Punch et la pantomime du XIXe siècle. Après la visite de Signor Bologna en Grande-Bretagne en 1662, Pulcinella, en tant que marionnette à tringle, s’est fait naturaliser sous le nom de Punchinello. C’était le personnage principal du théâtre de marionnettes de Powell à Covent Garden en 1711 et aussi de celui de Randal Stretch à Dublin quelques années plus tard. En 1730, Stretch eut des problèmes avec Elrington, directeur du Théâtre Royal, qui, exerçant son monopole sur les représentations, tenta de prélever une taxe exorbitante sur les marionnettes. Cette dispute a été consignée dans une feuille volante satirique, Punchinell's embassy to the most mighty and puisant Ton, Ring, Le, Sam, Tho, Emperor of the theatre and all the delightful territories in the province of Smock-Ally [L’Ambassade de Punchinell auprès du très puissant et surpuissant Ton, Ring, Le, Sam, Tho (c’est-à-dire Thomas Elrington), empereur du théâtre et de tous les territoires charmants de la province de Smock-Ally (le Théâtre Royal de Dublin)]. Dans la célèbre gravure de Hogarth, Southwark Fair (1733), une toile publicitaire intitulée Punch’s Opera montre Punch poussant sa femme dans une brouette vers une bouche d’enfer béante. En 1784, une affiche pour les anciennes marionnettes de Stretch indiquait que le spectacle était joué par « les comédiens artificiels de Mr. Punch ».

 

C’est à cette époque que Giovanni (ou peut-être Giuseppe) Piccini de Plaisance a amené son spectacle de guarattelle (marionnettes à gaine napolitaines) en Angleterre, et celui-ci est devenu le spectacle bien connu de Punch et Judy qui s’est transmis jusqu’à ce jour. En 1827, John Payne Collier a interrogé le vieux Piccini, qui lui a fait la démonstration de quelques routines. Collier a pris des notes sur celles-ci et les a publiées sous forme de pièce. Le texte de Collier, bien connu grâce aux illustrations de George Cruikshank, est parfois considéré comme le spectacle « officiel » de Punch et Judy, alors qu’en fait il ne s’agit que de quelques scénarios de base notés, et peut-être améliorés, par un homme jouissant d’une réputation de faussaire en littérature. Nous pouvons obtenir un scénario bien meilleur (et probablement plus authentique) du montreur de Punch interviewé par Henry Mayhew dans son London Labour and the London Poor (1851) : The Dominion of Fancy or Punch’s Opera [Le Territoire de la fantaisie ou l’Opéra de Punch][8].

 

Au XIXe siècle, Punch a triomphé dans les castelets de rue, mais il a presque disparu du théâtre de marionnettes à tringle ou à fils. Pour le comprendre, il faut se pencher à nouveau sur le théâtre d’acteurs, et plus particulièrement sur Covent Garden. Vers 1800, le représentant populaire de Punch à Covent Garden était Joey Grimaldi, qui a ensuite développé un nouveau personnage, Clown. Le clown traditionnel du théâtre anglais était un paysan et souvent une figure comique (comme chez Shakespeare). Le Clown de Grimaldi était tout à fait différent. Filou, comme Punch et un peu comme Deburau, il se réjouissait de plaisanteries plutôt cruelles. Plus important encore, Grimaldi a créé un maquillage et un costume spéciaux, qui ont parfois perduré chez les clowns de cirque jusqu’à aujourd’hui. L’immense popularité du Clown de Grimaldi entraîna la disparition de Punch à la fois du théâtre d’acteurs et de celui des marionnettes à tringle ou à fil. Dans les castelets de rue, Punch a prospéré, apparaissant souvent avec Clown. Une routine — que l’on retrouve dans le texte de Mayhew — consistait à voler un chapelet de saucisses. Contrairement à Clown, les saucisses sont restées un élément fréquent du spectacle de Punch et Judy. À l’époque moderne, le crocodile s’est mis à manger les saucisses, et il est même arrivé que le policier soit haché menu pour réapparaître sous la forme de saucisses bleues.

 

Dans le théâtre de marionnettes à fils, le personnage nouveau de Clown était tout particulièrement associé à l’arlequinade qui servait de pièce de clôture pour la pantomime. Dans le théâtre d’acteurs, la pantomime — phénomène typiquement britannique — ressemblait beaucoup à l’extravaganza (comédie musicale fantaisiste) du XIXe siècle : elle servait essentiellement de prétexte à un mélange étrange de chant, de danse et de spectacle avec une vague intrigue dramatique qui, comme dans le mélodrame, impliquait la lutte entre le bien et le mal, souvent représentés par un démon et une bonne fée.

 

La pantomime ne se limitait pas à la saison de Noël, comme c’est le cas aujourd’hui, et à l’origine, elle n’était pas spécialement liée aux contes de fées. Thomas Holden voyageait avec deux pantomimes, Beauty and the Beast [La Belle et la Bête] et Cinderella [Cendrillon], mais sans aucun autre répertoire dramatique. Cela reflète le déclin plus général de l’ancien répertoire théâtral, lequel a cependant persisté avec des compagnies plus rurales comme celles de Clowes et Tiller. Très rare est le scénario de marionnette comme celui de la pantomime Little Red Riding Hood [Le Petit Chaperon rouge] de William Bullock, imprimé en 1874, qui se vendait avec le programme du spectacle pendant les représentations au St James’s Hall[9] à Londres. Écrit en vers de mirliton auxquels le public des pantomimes de l’époque était habitué, il regorge de références à l’actualité et de jeux de mots. La scène la plus réussie est celle qui oppose la grand-mère à un choucas parlant.

 

Dans le théâtre d’acteurs, les personnages principaux de la pantomime portaient souvent de très grands masques de tête. Au dénouement, la bonne fée agitait sa baguette. Tous les personnages arrachaient alors leurs masques et leurs costumes de dessus pour devenir les personnages d’une arlequinade. Dans le théâtre de marionnettes, nul besoin de masques, mais chaque compagnie disposait d’un groupe de marionnettes réservé à l’arlequinade. Les principaux étaient Arlequin, souvent devenu un peu plus qu’un danseur dans un costume bien ajusté, Colombine sa partenaire, un policier (ajouté après la création de la police par Robert Peel en 1829) et un duo de personnages comiques, Pantaloon et Clown. Au départ, la construction de l’intrigue était assez lâche. Clown était au centre de toutes les blagues et de tous les tours, tandis que le policier en était souvent victime. À la fin des années 1870, avec Thomas Holden, l’arlequinade s’est morcelée en une série de sketches comiques hilarants dont la plupart étaient centrés sur Clown et Pantaloon, et c’est Clown (avec un C majuscule !) qui s’impose comme la figure comique la plus importante du théâtre de marionnettes britannique du XIXe siècle.

 

À l'instar du théâtre spectaculaire de l'époque victorienne, les compagnies de marionnettes de la fin du siècle ont se sont emparées de la « Grande Scène de Transformation ». Généralement utilisée au dénouement d’une pantomime, la Transformation pouvait durer plusieurs minutes avec une succession de changements de décors, souvent à l’aide de gazes, et se terminant, si possible, par un grand jeu de lumière et d’eau. Ce dernier était produit par l’utilisation de miroirs et parfois de lumière oxhydrique, mais plus tard, chez Holden, ceux-ci ont été remplacés par de l’eau réelle et de la lumière électrique. La plupart des compagnies de marionnettes possédaient une scène de transformation polyvalente qui pouvait être rajoutée à n’importe quelle pantomime, et qui parfois, comme dans le cas de Holden, pouvait être utilisée indépendamment pour terminer la représentation du soir de façon spectaculaire.

 

Le programme d’un spectacle de marionnettes au XIXe siècle remplissait une soirée complète. Il y avait généralement un drame, une farce et quelques scènes de transformations ou numéros de variétés. Dans la seconde moitié du siècle, les Black Minstrels, inspirés des très populaires Christy Minstrels et d’autres, étaient presque omniprésents dans le programme. Cela prenait la forme d’un bref concert avec des chansons, des danses et des dialogues comiques. Dans les années 1890, lorsque le spectacle de Pierrot s’est popularisé dans les stations balnéaires britanniques, les black faces ont fait place aux Pierrots à visage blanc. Aujourd’hui, on trouve encore des marionnettes avec des traits africains repeints en blanc.

 

La marionnette entièrement à fils, dont l’utilisation s’est progressivement répandue après les années 1850, a permis un tout nouveau style de jeu, mais comme les répertoires dramatiques commençaient à disparaître, elle n’a peut-être jamais été très utile dans ce contexte. La manipulation de la marionnette à tringle s’adaptait bien à la gestuelle fortement expressive du mélodrame, mais la marionnette à fils ouvrait la voie à un style de jeu plus « naturaliste » où les marionnettes semblaient pour beaucoup se mouvoir comme des êtres humains vivants. Thomas Holden, un artiste brillant dont la manipulation des figures donnait une qualité dramatique aux numéros ou aux sketches les plus simples, a utilisé les marionnettes à fils pour doter ses numéros de variétés et de transformations avec une humanité qui faisait croire qu’ils étaient vivants.

 

Dans les zones urbaines, les compagnies ayant subi la concurrence du music-hall ont pu y trouver en même temps un lieu où beaucoup d’entre elles obtenaient des engagements qui, à beaucoup d’égards, étaient semblables aux anciennes représentations de foire répétées plusieurs fois dans la journée. De nouvelles compagnies virent le jour avec un spectacle conçu uniquement comme un numéro de music-hall et la plupart d’entre elles montraient une succession de transformations et de numéros de variétés, les unes pratiquement identiques aux autres.

 

Dans les théâtres de marionnettes itinérants de la dernière décennie du siècle, le biographe était la dernière attraction, souvent ajoutée au programme, mais au fur et à mesure que les projections de cinéma se sont développées, le public adulte des marionnettes s’est effondré et le répertoire dramatique devint encore plus rudimentaire. Tous ces changements se produisirent plus rapidement en Grande-Bretagne qu’ailleurs en Europe et, dans les années 1920, le théâtre de marionnettes populaire étant pratiquement éteint, l’art de la marionnette devait être réinventé par des artistes et des amateurs de talent tels que Helen Binyon ou W.H. Whanslaw et Waldo Lanchester avec leur London Marionette Theatre.

 

 

[1] Il s’agit vraisemblablement de la marionnette à tringle (rod marionette). Didier Plassard s’est demandé s’il pouvait s’agir de marionnettes à tige (rod puppet, stick-puppet). Cette dernière possibilité ne peut être écartée. Il n’existe aucune preuve de l’utilisation de la marionnette à tige en Angleterre, mais cela est peut-être dû en partie au fait qu’elle était principalement associée à la crèche. Dans l’Angleterre protestante, il n’y a pas de tradition de crèche telle qu’elle s’est transmise dans une grande partie du reste de l’Europe. Le théâtre de marionnettes purement laïque monté dans le Palais Pitti à Florence en 1684 était destiné à ce type de marionnette avec les manipulateurs dissimulés sous la scène et les personnages se déplaçant dans des trapillons d’une manière remarquablement similaire au Belem d’Alcoy. Rossi, dans le nord de l’Italie, à la fin du XVIIIe siècle, semble avoir utilisé une forme de marionnette à tige. Gualberto Niemen, au début du XXe siècle, a acquis un ensemble complet de marionnettes à tige et aujourd’hui Bruno Niemen utilise un mélange de marionnettes à gaine et de marionnettes à tige.

[2] Un rideau est tiré pour chaque scène et l’appareil est décrit comme ayant du papier translucide huilé. Il entre en rotation grâce à la chaleur générée par une bougie. Ce dispositif est probablement similaire à celui décrit par Jean Prévost dans ses Subtiles et plaisantes inventions (1584).

 

[3] Cité d’après Harleian MSS., no. 5931, no. 274, dans Joseph Strutt, The Sports and Pasetimes of the People of England… [1801], London, Methuen & Co., 1903, pp. 145-146. Cité aussi dans Sybil Rosenfeld, The Theatre of the London Fairs in the 18th Century, Cambridge, University Press, 1960, pp. 160-161.

[4] Speaight en mentionne une copie manuscrite dans la collection Larpent de la Bibliothèque Henry E. Huntingdon en Californie.

[5] Fitzball est également l’auteur de The Flying Dutchman [Le Hollandais volant], l’une des principales sources de l’opéra de Wagner.

[6] En 2002, en utilisant certaines des marionnettes Tiller, j’ai pu mettre en scène The Floating Beacon dans ce qui était alors le Theatre Museum de Londres. Peu de temps avant la création de notre spectacle, on venait de découvrir la musique de scène que Samuel Sebastian Wesley (le neveu de John Wesley) avait composée pour un autre mélodrame nautique de Fitzball, et on a pu s’en servir pour The Floating Beacon.

[7] Une actrice, qui avait fait partie d’une troupe itinérante en Irlande dans les années 1950, m’a dit il y a quelques années qu’après la représentation du soir, elle lisait une nouvelle pièce avant d’aller se coucher. Celle-ci était répétée dès le lendemain et jouée le jour suivant.

[8] L’entretien avec le marionnettiste de Punch se trouve dans les extraits choisis de London Labour and the London Poor, publiés sous le titre Mayhew’s London, ed. Peter Quennell, Londres, Spring Books, 1969, pp. 445-470.

[9] En Amérique, le spectacle de Bullock a été piraté par ses imprésarios McDonagh et Earnshaw qui ont également imprimé le texte dans une version légèrement modifiée et attribuée à Silas Steel.

Dernière mise à jour : 11/04/2021