Post-doctorat n°6 (janvier 2023 - juin 2023) - Anna LEONE, Du canevas secret au texte publié Les textes pour l’opera dei pupi palermitaine du début du XXe siècle à nos jours

Du canevas secret au texte publié - Les textes pour l’opera dei pupi palermitaine du début du xxe siècle à nos jours

Anna Leone (janvier 2023 - juin 2023)

 

L’opera dei pupi est l’un des théâtres de marionnettes à tringle armées les plus connus en Europe. Il est né dans l’Italie du Sud, entre Naples et la Sicile, au milieu du xixe siècle, quand les salles de marionnettes à tringle se sont spécialisées dans le répertoire chevaleresque, représentant de longs cycles de spectacles sur la Matière de France, telle qu’elle était racontée par les poèmes chevaleresques italiens de la Renaissance, comme l’Orlando furioso d’Arioste ou l’Orlando innamorato de Boiardo. Dès lors, l’opera dei pupi, et notamment sa version sicilienne, a attiré l’attention des spécialistes. En 1884, Giuseppe Pitrè (1841-1916), le plus grand expert de traditions populaires siciliennes de l’époque, a écrit une première étude sur ce théâtre[1]. À partir des années 1950, quand la plupart des salles se vidaient de leur public et fermaient, Antonio Pasqualino (1931-1995), un chirurgien et intellectuel sicilien passionné de pupi depuis son enfance, se consacra à la sauvegarde de l’opera dei pupi. Auteur d’importants ouvrages sur les marionnettes à tringle armées de l’Italie du Sud[2], Pasqualino a fondé en 1965 l’Associazione per la conservazione delle tradizioni popolari (Association pour la conservation des traditions populaires) et en 1975 le Museo internazionale delle marionette de Palerme. Depuis 2001, grâce aussi à l’initiative du Museo internazionale delle marionette, l’opera dei pupi sicilienne a été inscrite par l’UNESCO sur la première liste des “chefs d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité”, devenue en 2008 la liste du patrimoine culturel immatériel. De nos jours, de nombreuses publications continuent à être consacrées à ce théâtre[3] et à certains marionnettistes contemporains comme Mimmo Cuticchio[4] (1948), un marionnettiste, metteur en scène et acteur qui a beaucoup contribué au renouvellement de l’opera dei pupi en créant des spectacles dans lesquels les pupi, manipulés souvent à vue, dialoguent avec des acteurs, des narrateurs, des danseurs ou des musiciens.

 

La vaste bibliographie qui a été déjà consacrée à l’opera dei pupi sicilienne comprend plusieurs publications sur le répertoire des marionnettes à tringle armées et sur ce qui a été longtemps leur spectacle principal : les exploits de Charlemagne et de ses paladins. Antonio Pasqualino[5] et d’autres spécialistes se sont intéressés en particulier aux sources de ce répertoire et à l’idéologie de ce long spectacle qui, représenté en plusieurs épisodes, pouvait durer plus d’un an. Plus récemment, Anna Carocci[6] a étudié le rapport des canevas des marionnettistes siciliens avec les poèmes chevaleresques de la Renaissance, en analysant les textes de différentes traditions (palermitaine, catanaise, napolitaine et des Pouilles) et de différentes époques (des longs cycles anciens aux spectacles contemporains). 

Ce projet post-doctoral propose de prolonger les recherches sur le répertoire des pupi en se consacrant à un aspect moins étudié puisqu’il s’agira d’analyser à la fois l’évolution des texte et de leur fonction au fil du temps. Pour cela, il prendrons en compte le répertoire de l’opera dei pupi dans son ensemble (donc y compris les farces et les histoires qui ne relèvent pas de l’univers de la chevalerie) en se concentrant en particulier sur le répertoire de la famille Cuticchio. En effet, le répertoire de la famille Cuticchio a continué à s’élargir grâce au travail de Mimmo Cuticchio, de ses frères Nino (1952) et Anna (1945), et dernièrement de son fils Giacomo (1982). Au milieu du xxe siècle, Giacomo Cuticchio (1917-1985), le père de Mimmo, créait ses spectacles sur le moment, après avoir jeté un coup d’œil à ses canevas – des canevas qu’il conservait jalousement loin des regards, même de ceux de ses enfants et assistants. Il devait donc donner toutes les indications sur la scène à préparer (les décors, les personnages à prendre) au cours de la représentation. Aujourd’hui Mimmo Cuticchio a écrit de nouveaux textes qu’il montre à ses assistants au cours de la mise en scène des spectacles et qu’il a parfois publié[7]. Dans ces textes, les dialogues peuvent être intégralement écrits, même lorsque les marionnettistes les réinterprétent et continuent à improviser sur scène. Depuis le canevas gardé secret et servant d’aide-mémoire pour un long spectacle jusqu’au texte publié, comment l’écriture pour les pupi s’est-elle transformée ?

 

[1]    Giuseppe Pitrè, « Le tradizioni cavalleresceh popolari in Sicilia », Romania, 1884, t. 13, n. 50-51, p. 315‑398. [En ligne : https://www.persee.fr/doc/roma_0035-8029_1884_num_13_50_6304].

[2]    On peut citer notamment : Antonio Pasqualino, L’opera dei pupi, Palermo, Sellerio, 2008 et A. Pasqualino, Le vie del cavaliere. Epica medievale e memoria popolare, Milano, Bompiani, 1992.

[3]    Notamment, sur l’opera dei pupi de Catane (Bernadette Majorana, Pupi e attori. Ovvero l’ opera dei pupi a Catania. Storia e documenti, Roma, Bulzoni, 2008) et sur les pupi de Naples (Alberto Baldi, L’opulenta scena. Granitiche e trasformistiche, sincretiche ed eretiche vistosità del teatro dei pupi partenopeo, Napoli, Arte Tipografica Editrice, 2012).

[4]    On peut citer, en particulier, les études de Valentina Venturini : Valentina Venturini (dir.), Dal cunto all’opera dei pupi. Il teatro di Cuticchio, Roma, Dino Audino Editore, 2003 ; V. Venturini, Nato e cresciuto tra i pupi, Napoli, Editoriale Scientifica, 2017 .

[5]    En plus des analyses contenues dans les ouvrages déjà cités, Pasqualino a analysé le répertoire des pupi dans A. Pasqualino (dir.), Dal testo alla rappresentazione. Le prime imprese di Carlo Magno, Palerme, Laboratorio Antropologico Universitario, 1986 ; A. Pasqualino, Rerum Palatinorum fragmenta, éd. Alessandro Napoli, Palermo, Edizioni Museo Pasqualino, 2018.

[6]    Anna Carocci, Il poema che cammina. La letteratura cavalleresca nell’opera dei pupi, Palermo, Edizioni Museo Pasqualino, 2019.

[7]    Il a publié la première fois cinq textes en 2008 : Mimmo Cuticchio, L’opera dei pupi dalla piccola alla grande scena, Palermo, Associazione Figli d’Arte Cuticchio, 2008.

 

Dernière mise à jour : 04/04/2024